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Journées européennes du patrimoine    22 août 2018

Neptune dans tous ses états

Collectionner des objets du patrimoine, acquis éthiquement, c’est en prendre soin « en bon père de famille » : les soumettre à des analyses de laboratoire, soigner leurs maladies de vieillesse, instruire leur dossier documentaire et, enfin, partager leur intérêt et leur beauté avec le monde entier… Ce travail de longue haleine fait dialoguer des spécialistes de tous bords : chimistes, restaurateurs, photographes, dessinateurs et, bien sûr, historiens de l’art.

Ce sublime dieu antique nu, en bronze plein, c’est Neptune. Daté des IIIe-IIe siècles avant J.-C., c’est un exemple de chef-d’œuvre que différentes recherches ont révélé à lui-même.

Neptune aux yeux d’argent
IIIe-IIe siècle avant J.-C.
Bronze, fonte pleine
38 cm
FGA-ARCH-GR-0090

 

PROVENANCE
Ancienne collection Jean Sauphar, années 30
Transmis par héritage
Galerie La Reine Margot, Paris, 2011

Chimie et microscopes

Un premier test de thermoluminescence, mené par le laboratoire QED, ayant montré que le métal avait bien été coulé entre 400 avant et 200 après J.-C., notre statue a subi une microanalyse de ses matériaux et de sa corrosion. Elle a révélé que son alliage était commun dans l’Antiquité (c’est un bronze à très faible teneur en plomb). Sous les microscopes de la MSMAP, d’anciennes réparations de défauts de fonte sont apparues. Mais surtout des fossiles de microorganismes marins, signes indiscutables d’un séjour prolongé dans la mer : il y avait donc de la vie sur Neptune lorsqu’il était dans l’eau !

Voici donc une statue probablement pillée, dès l’Antiquité, dans un sanctuaire grec, puis emmenée par bateau en direction de Rome : celui-ci sombra en envoyant sa cargaison par le fond, comme ce fut le cas, entre autres, pour les célèbres bronzes de Riace.

Questions d’attributs

Cette chevelure composée de grosses mèches un peu flasques, comme gorgées d’eau, et couronnée de jonc, cette puissante musculature et cette plastique parfaite sont celles d’un dieu à l’apogée de sa maturité. Il est figuré ici comme s’il émergeait de l’eau. Ce dieu, c’est Neptune, le dieu de la mer, qui est aussi le maître des séismes, connu dans le monde grec sous le nom de Poséidon.

Mais alors que sont les attributs de Neptune devenus, – trident, poisson, patère – et qu’il avait de si près tenus ? Ces fragiles éléments ont probablement été perdus en mer ou sur terre, au cours des nombreuses tribulations de notre dieu marin. Mais la position de ses mains et celle de ses doigts ne laissent planer aucun doute : le dieu présentait un poisson sur la paume de sa main droite et tenait probablement une patère, ou un trident, dans la gauche.

Notre statue, en contre-appui sur la jambe gauche, dérive d’un modèle lysippéen du IVe siècle ; elle est à dater, par sa facture et son style, du IIIe ou du IIe siècles avant J.-C.

Neptune aux yeux d’argent

Après le traitement d’une corrosion parfois profonde et la stabilisation du métal en atelier de restauration, après l’enlèvement des fossiles marins, celui des concrétions qui couvraient ses yeux y a fait apparaître des incrustations d’argent. Une merveilleuse surprise : adieu fossiles, bonjour Neptune aux yeux d’argent…

 

Dr Isabelle Tassignon
Conservatrice des collections Archéologie et Ethnologie

Merci à Olivier Langevin (QED, Aix-en-Provence), Bertrand Duboscq (MSMAP, Pessac), à Sarah Gonnet et Benjamin Schäfer (restaurateurs) et à André Longchamp (photographe).

© Fondation Gandur pour l’Art, Genève. Photographe : André Longchamp

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