L'Œuvre du mois


janvier 2020 Archéologie

Figurine féminine de fertilité

Sculptée dans un bloc de calcaire, cette pièce représente une femme en relief se détachant d’un arrière-plan au sommet arrondi. La figure féminine semble entièrement nue mais porte une ample perruque peinte en noir tombant sur les épaules et atteignant le haut des seins, attachée de chaque côté par un ruban rouge. Ses accessoires consistent en bracelets peints en noir. Si l’arrière-plan au sommet arrondi qui sert de base à la figure rappelle le profil de certaines stèles, sa décoration rouge et noire suggère qu’il s’agit d’un lit : en effet, les lignes diagonales rouges de chaque côté de la figure représentent le treillis du sommier/matelas (figure 2). Le pied du lit est perpendiculaire au reste de la pièce, et son motif régulier peint en noir imite la planche de bois typique des anciens lits égyptiens.

 

Figurine féminine de fertilité
Origine inconnue
Égypte, Nouvel Empire, XVIIIe - XIXe dynastie, vers 1550-1291 av. J.-C.
Calcaire polychrome
16 x 6,4 x 2,6 cm
FGA-ARCH-EG-0303

Provenance
Galerie François Antonovich, Paris, 2 novembre 2007

 
Fig. 1 - Figurine féminine de fertilité, vers 1550-1291 avant J.-C.
Fig. 2– Scène de la TT1. La momie de Sennedjem sur un lit funéraire.

La forme de ces derniers diffère des lits modernes, car le côté de la tête est plus élevé que celui du côté des pieds (figure 2).

 

Au lieu de coussins, les Égyptiens utilisaient des appuie-tête de différentes formes, comme ces deux exemplaires issus des collections de la Fondation (figures 3 et 4).

Fig. 3 – Chevet en bois, ca. 1550 – 1185 avant J.-C.
Fig. 4 – Amulette en forme de chevet, ca. 664 – 342 avant J.-C.

La perruque est surmontée d’un objet conique qui doit être interprété comme une stylisation du « cône d’onguent » (figure 5). On considère actuellement que ces cônes d’onguent symbolisent l’aura du défunt et leur état de ressuscité dans l’Au-delà1. À cet égard, ces attributs préfigurent l’auréole chrétienne.

Fig. 5. Scène de banquet avec personnages portant un cône d’onguent sur la tête, provenant d’une tombe thébaine non identifiée.
Fig. 6 – Détail. Figure féminine de fertilité, vers 1550-1291 avant J.-C.

Vers le pied gauche de la jeune femme est dessiné un miroir dont le disque est représenté par un cercle rouge, et le manche entièrement peint en noir (figure 6). Objet de toilette courant, le miroir2 est ici formé d’un manche en forme de plante d’où le disque semble sortir : les miroirs égyptiens ainsi formés (figure 7) représentent symboliquement le soleil émergeant des profondeurs des eaux primordiales marécageuses au premier jour de la création. En tant que tel, le disque du miroir était considéré comme un symbole céleste représentant le soleil ou la lune3, deux astres liés aux cycles cosmiques : lever et coucher du soleil et transformation de la lune au cours de ses différentes phases.

Fig. 7 – Singe tenant un miroir à manche de forme florale représenté sous la chaise de ses maîtres, détail d’une stèle de Baltimore, Walters Art Museum 22.92.

Selon les croyances égyptiennes, le lever du soleil était accueilli par la « langue secrète » des babouins, qui sont connus pour leur grand chahut à ce moment de la journée.

Fig. 8 – Détail. Figure féminine de fertilité, vers 1550-1291 avant J.-C.

Le symbolisme céleste du miroir est renforcé par la présence du babouin représenté vers le pied droit de la femme (figure 8). Selon les croyances égyptiennes, le lever du soleil était accueilli par la « langue secrète » des babouins, qui sont connus pour leur grand chahut à ce moment de la journée4. Ce langage secret était accompagné de musique, comme on peut le voir sur une amulette de faïence du musée du Louvre représentant un singe jouant de la lyre5.

Tous ces symboles de résurrection complètent le motif principal de la femme nue couchée sur un lit. Les connotations érotiques de cette nudité sont intentionnelles, car le discours théologique égyptien sur la résurrection était fondé sur les principes de la procréation humaine, dont le modèle divin était constitué par la fécondation posthume d’Isis par son frère et mari Osiris réanimé. Ces connotations sont encore renforcées par les aspects érotiques de la perruque élaborée portée par la jeune femme6.

 

L’interprétation de l’imagerie complexe de cette pièce présuppose une connaissance approfondie du symbolisme érotique de l’ancienne Égypte, utilisé dans un contexte de fécondité qui peut s’appliquer à la fois dans la vie et la mort. L’utilisation de tels objets est clairement cultuelle : ils étaient déposés dans les sanctuaires par des couples, dans l’espoir ou en remerciement d’une grossesse réussie, ou en contexte funéraire, en vue de favoriser la résurrection du défunt.

Robert Steven Bianchi

Conservateur en chef
Conservateur collection archéologie

Notes et références

  1. MANNICHE 1999, p. 95-96; RAVEN 2012, p. 159-161; and MIATELLO 2019, p. 49-73, contra PADGHAM 2012.
  2. LILYQUIST 1979.
  3. BIANCHI 1985.
  4. te VELDE 1988.
  5. Paris, Musée du Louvre E 7699:  http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=18777&langue=fr (viewed on 26.11.2019)
  6. DERCHAIN 1975.

Bibliographie

ALEA - Archive of Late Egyptian Art, a photographic and bibliographic archive maintained by Robert Steven Bianchi, Holiday, Florida

ENiM - Une Revue d'égyptologie sur internet - CNRS - Université Paul Valéry - Montpellier III - UMR 5140 Archéologie des Sociétés Méditerranéennes.

BIANCHI, R.S., « Reflexions in the sky’s eyes », SOURCE—Notes in the History of Art 4, 1985, p. 10-18.

BIANCHI, R. S., Ancient Egyptian Art and Magic. Treasures from the Fondation Gandur pour l’Art, Geneva, Switzerland, exhibition catalogue [Saint Petersburg (FL), Museum of Fine Arts, 17.12.2011-20.0-4.2012], Saint Petersburg, FL., Museum of Fine Arts, 2011, p. 158-159, no. 57.

CHAPPAZ, J.-L. (ed.) with the collaboration of QUIRION, A., Corps et esprits. Regards croisés sur la Méditerranée antique, exhibition catalogue [Geneva, Musée d’art et d’histoire, 30.01-27.04.2014], Milan, 5 Continents Editions, 2014, p. 136, no. 108.

DERCHAIN, P., « La perruque et le cristal », Studien zur Altägyptischen Kultur 2, 1975, p. 55-74.

GANDIN, A. (dir.), Voyages en Égypte. Des Normands au pays des pharaons au XIXe siècle, exhibition catalogue [Musée de Normandie, Caen 23.06.2017-07.01.2018], Lyon, Face Editions, 2018, p. 112 and 200, no. 105.

LILYQUIST, C., Ancient Egyptian mirrors from the earliest times through the middle kingdom, Münchner Ägyptologische Studien 27, Münchener Universitätsschriften, Philosophische Fakultät. München, Berlin: Deutscher Kunstverlag, 1979.

MANNICHE, L., Sacred luxuries: fragrance, aromatherapy, and cosmetics in ancient Egypt. Photographs by Werner Forman, Ithaca, NY, Cornell University Press, 1999.

MIATELLO, L., « Dealing with problematic texts. A synoptic study of the hypocephalus Turin Cat. 2320 », ENiM 12 (2019), p. 49-73.

PADGHAM, J. A new interpretation of the cone on the head in New Kingdom Egyptian tomb scenes,  BAR International Series 2431, Oxford,  Archaeopress, 2012.

RAVEN, M. J., Egyptian magic: the quest for Thoth's Book of Secrets, New York, American University in Cairo Press, 2012.

te VELDE, H., « Some remarks on the mysterious language of the baboons », in Kamstra, J. H., H. Milde, and K. Wagtendonk (éd.), Funerary symbols and religion: essays dedicated to Professor M. S. H. G. Heerma van Voss on the occasion of his retirement from the Chair of the History of Ancient Religions at the University of Amsterdam, Kampen, J. H. Kok, 1988, p. 129-137.

 

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