Mémorial de Caen, Caen (FR) 14 juillet 2020 - 31 janvier 2021
La Libération de la peinture 1945-1962
L’exposition La Libération de la peinture, 1945-1962 ouvre ses portes le 14 juillet prochain au Mémorial de Caen (France). À travers 75 œuvres de sa collection, la Fondation Gandur pour l’Art invite à découvrir comment les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale ont durablement changé le cours de l’art et amené les artistes européens à inventer un nouveau langage pictural capable d’exprimer les bouleversements intimes et sociétaux de leur génération. Le commissariat est assuré par les conservateurs de la Fondation qui signent également le catalogue richement illustré de cette exposition majeure pour les deux institutions.
La Fondation Gandur pour l’Art et le Mémorial de Caen présentent une ambitieuse exposition consacrée à la peinture abstraite en France, entre 1945 et 1962. Pendant cette période, comprise entre le retour de la paix en Europe et la fin de la guerre d’Algérie, l’art dans l’hexagone traverse de profonds bouleversements. Alors que le pays se relève très difficilement de la guerre, la vie artistique se réveille de quatre années d’occupation. Après la Libération, Paris reprend rapidement la place de capitale mondiale de l’art qu’elle occupait avant la guerre. La Ville lumière redevient alors le pôle d’attraction des artistes du monde entier.
La sélection de 75 peintures, dessins et sculptures, tous issus de la collection de la Fondation Gandur pour l’Art, entend restituer la vitalité artistique de cette époque tout en montrant comment la guerre, avec son lot d’atrocités, a pu influer durablement le cours de l’art. Face à la difficulté, voire l’incapacité pour certains, de continuer à représenter le monde avec les moyens traditionnels de la peinture, les artistes n’ont eu d’autre alternative que de puiser dans leur intériorité de nouvelles formes d’expressions, plus spontanées et intuitives, qui vont trouver dans l’art abstrait, le terreau fertile pour se développer. Pour y parvenir, ils vont aussi avoir recours à toute une gamme de nouveaux outils et matériaux détournés de leur fonction première.
La confrontation qui s’installe, dès 1945, entre d’un côté, les continuateurs de l’abstraction géométrique héritée de Piet Mondrian et Kasimir Malevitch, et de l’autre, la jeune génération des peintres abstraits prête à expérimenter toutes les possibilités de l’art informel est le signe des temps nouveaux. La collection de peintures de la Fondation Gandur pour l’Art, qui s’est originellement constituée autour de cette tendance non-géométrique de l’art abstrait, permet d’illustrer sa diversité avec des œuvres de premier plan. Chacune à leur manière, elles témoignent de la crise de représentation qui sévit après-guerre et touche les artistes cherchant, consciemment, ou inconsciemment, à peindre la réalité de leur époque sans avoir nécessairement recours à la figuration.
MÉMORIAL DE CAEN
Esplanade Général Eisenhower, 14050 Caen, France
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Tarifs
Entrée de l'exposition : 10€
Entrée gratuite pour les enfants de moins de 10 ans
Horaires
Le musée est ouvert tous les jours de 10h à 17h
Publication
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Présentation
PARCOURS DE L'EXPOSITION
L’exposition La Libération de la peinture, 1945-1962 dresse le panorama des principales tendances de l’art informel qui sont nées dans le climat d’après-guerre et se sont développées jusqu’au début des années 1960 au cœur d’une Europe en reconstruction, avec Paris comme épicentre de création et de diffusion.
Les commissaires de l’exposition ont dégagé un parcours à la fois thématique et chronologique pour raconter cette aventure picturale d’une rare intensité et d’une étonnante diversité d’approches et de styles.
L’itinéraire proposé est organisé autour de huit sections autonomes et complémentaires illustrées chacune d’une dizaine d’œuvres choisies pour leur capacité à rendre compte des principaux bouleversements picturaux qui vont concourir à révolutionner l’art abstrait.
RUPTURES
L’exposition s’ouvre sur la période de l’immédiat après-guerre avec Sarah de Jean Fautrier, œuvre anticipatrice du changement, peinte en 1943.
La Seconde Guerre mondiale laisse une Europe exsangue et en ruine. Les traumatismes de la guerre, des bombardements, de la collaboration, de l’emprisonnement et de la déportation poussent les artistes durablement éprouvés à repenser de manière radicale le rapport de l’homme au monde et à sa manière de le représenter. Peut-on dire l’indicible, peindre l’irreprésentable ?
À la violence de l’homme répond la violence de la peinture. Tout en offrant une forme aux cauchemars, les artistes pensent que la représentation de la guerre nécessite une tabula rasa, seule réponse possible aux traumas de la destruction et du meurtre de masse.
Marqués par l’expérience de la guerre, les artistes repensent la représentation du monde et les outils traditionnels de la peinture. Des manipulations inédites de matériaux, où l’accident et le hasard sont essentiels, donnent naissance à une forme expérimentale de la peinture.
L'AVENTURE COBRA
Cette section retrace l’histoire brève de ce mouvement rebelle.
En total désaccord avec leurs collègues français lors de la Seconde Conférence du Surréalisme révolutionnaire de novembre 1948, un groupe d’artistes étrangers décide de fonder son propre mouvement qu’ils baptisent CoBrA, acronyme composé des premières lettres de leur capitale d’origine : Copenhague, Bruxelles et Amsterdam.
Loin des dogmatismes qu’ils fustigent, le peintre danois Asger Jorn, le Hollandais Karel Appel et le Belge Corneille, suivis à la marge par quelques artistes français tels Jean-Michel Atlan et Roger Bissière, puisent leur inspiration dans les arts primitifs, naïfs, populaires, dans la calligraphie orientale ou encore dans l’art préhistorique et médiéval. Ils cherchent dans ces formes d’expression, élémentaires et instinctives, la voie d’accès à une « primitivité universelle » avec laquelle CoBrA veut renouer à la suite du désastre de la guerre.
Les membres de CoBrA créent sans contraintes et hors de tout contrôle exercé par la raison et rêvent d’une société meilleure fondée sur une autre manière de vivre. Ils prônent un art expérimental, libre et spontané, à l’image des tableaux réunis dans cette salle où la couleur est directement projetée sur la toile sans dessin préalable. Les compositions mêlent, dans un chaos indescriptible, des créatures fabuleuses tenant à la fois de l’homme, de l’animal et du végétal.
ENTRE FIGURATION ET ABSTRACTION
Le retour de la paix s’accompagne de la remise en cause des canons traditionnels de la peinture.
Ce combat d’avant-garde est celui de la jeunesse artistique qui ne se reconnaît plus dans le post-impressionnisme, le cubisme, ni même dans le surréalisme pourtant toujours très actif. La nouvelle génération se tourne alors vers l’abstraction, terrain d’expériences à priori plus prometteur.
Néanmoins, le doute s’installe parmi les acteurs de la non-figuration qui se demandent si la peinture peut être toute entière abstraite.
En refusant de choisir entre la figuration et l’abstraction, Nicolas de Staël et Olivier Debré qui illustrent cette section, s’engagent dans une voie médiane axée sur la quête d’un équilibre entre le geste, la matière et la couleur. Cette approche tempérée est à l’opposé de celle de Jean Dubuffet ou des artistes du groupe CoBrA qui n’usent de la figuration que pour mieux s’employer à la détruire.
LE LANGAGE ET LA MATIÈRE
La guerre terminée, tout est à reconstruire et à réinventer. Pour exprimer la réalité douloureuse de leur époque, les artistes vont faire parler la matière en la travaillant de manière nouvelle.
Le peintre Jean Fautrier fait figure de précurseur. L’artiste, peignant les atrocités qui se produisent sous ses yeux, se met au défi de représenter l’insoutenable. L’enjeu l’oblige à débarrasser sa peinture de toute référence au passé. Il cesse de peindre à l’huile et introduit dans ses tableaux de nouvelles matières et techniques qui vont radicalement changer le cours de l’art abstrait.
Directement influencé par lui, Jean Dubuffet peint en décembre 1945 son Portrait Cambouis, résultat saisissant de ses premières expérimentions sur les matières. Des matériaux pauvres (huile, sable, gravier et bouts de ficelle, maculés de goudron, de suie ou de cirage), travaillés avec des outils des plus triviaux (truelle, manche de couteau, cuillère à soupe), sont les ingrédients de cette « haute pâte » qui recouvre les toiles contemporaines de Dubuffet, leur conférant un relief sans précédent. De la résistance naturelle des matériaux, le père de l’art brut tire son imagination et invente un nouveau langage pictural qui oscille entre figuration et abstraction.
Dans le sillage de Fautrier et Dubuffet, d’autres artistes ne renoncent pas totalement à la représentation du réel. C’est le cas d’Henri Michaux avec l’aquarelle dans laquelle un visage se précise dans les irisations de l’eau pigmentée. Il en va de même avec la déchirante Crucifixion de l’espagnol Antonio Saura et, de manière plus suggestive, avec le « charnier » peint par le Belge Pierre Alechinsky, deux œuvres qui interpellent encore sur le sens des religions après la découverte des atrocités commises pendant la guerre.
L'ART DU GESTE ET DU SIGNE
La suite du parcours se penche sur la thématique du geste commune à des nombreux artistes de cette période.
Les peintres de la non-figuration cherchent une libération totale du geste afin qu’il ne réponde à aucun besoin, si ce n’est celui d’être le produit de leurs émotions. La violence de la peinture de cette époque traduit un sentiment d’insécurité ainsi que l’urgence de l’exprimer. La vitesse, la spontanéité, l’imprévisibilité et l’énergie du geste deviennent centrales dans le travail des artistes présentés ici et traduisent un besoin de liberté absolue.
Pour Simon Hantaï ou Jean Degottex, par exemple, il ne s’agit plus de faire du geste la trace de la subjectivité de l’artiste. Ils cherchent plutôt à développer un langage avec de nouveaux signes.
Quant à Georges Mathieu, il rappelle que l’art est un langage et le signe l’élément clef de son vocabulaire. Il ajoute que l’efficacité de sa peinture gestuelle naît désormais du signe et non du signifié. À partir de ce postulat cèdent les dernières barrières pouvant encore résister à l’art gestuel et informel dans sa quête de solutions pour peindre le réel sans passer par les codes traditionnels de la représentation.
L'ENVOLÉE LYRIQUE
Furieux coups de brosse, écriture nerveuse et instinctive, impression de vitesse et de spontanéité...
Tels sont les traits communs de cet expressionnisme abstrait développé, dès le lendemain de la guerre, par les peintres Hans Hartung, Gérard Schneider ou Pierre Soulages.
Chacun à leur manière, ils cherchent à supprimer toute distance entre le geste et sa trace, entre les intentions du peintre et les émotions brutes qu’elles véhiculent. Exprimant le fossé qui se creuse entre les continuateurs de l’abstraction géométrique et ses réformateurs, tenants de la peinture gestuelle et informelle, le peintre Georges Mathieu invente le terme fédérateur d’« abstraction lyrique ». L’apparente unité de style de leurs débuts se délite cependant dès le milieu des années cinquante. En attestent les œuvres de Pierre Soulages rassemblées dans cette salle. Leurs grands gestes « ralentis », freinés par la matière épaisse, sont les premiers signes d’un rapport moins tourmenté entre le geste, la matière et la couleur.
Privés du soutien de la collectivité mobilisée à se reconstruire, les artistes s’organisent pour montrer leurs œuvres dans des salons et des nouvelles galeries d’art. L’une de ces dernières, fondée par Lydia Conti, expose successivement, entre 1947 et 1949, les peintres Hans Hartung, Gérard Schneider et Pierre Soulages, qui seront immédiatement repérés par la critique d’art pour leurs talents individuels et la portée révolutionnaire de leur manière de peindre.
CONSTRUIRE L'ESPACE ET REPENSER LES FORMATS
Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux artistes repensent leur pratique en redéfinissant l’espace et le format de leurs peintures.
Certain reconsidèrent leur manière de peindre, en réduisant les moyens utilisés. Martin Barré favorise ainsi l’épure et la réduction de la matière, de la couleur et de la forme.
Le goût pour la construction de l’espace pictural se retrouve aussi chez la portugaise Maria Helena Vieira da Silva alors que Jean Degottex s’attache davantage au geste et à sa véhémence tout en réfléchissant à son rapport à l’écriture et à l’espace.
D’autres, au contraire, comme Emilio Vedova, repensent le format de leurs œuvres qui connaît alors une expansion nouvelle.
NOUVEAU SUPPORTS ET MATÉRIAUX
Refermant l’exposition, la dernière section aborde la diversification des matériaux et des supports utilisés par les artistes.
Cherchant une nouvelle manière de représenter le monde après le désastre de la guerre, certains en viennent à remplacer la toile traditionnelle par des matériaux issus, pour la plupart, de l’usage quotidien : la toile de jute pour Alberto Burri, le fil de fer pour Manuel Rivera, le tissu pour Salvatore Scarpitta, les lattes de bois pour César ou encore les fils de nylon pour Pol Bury. Marqués par la pénurie durant les années de guerre, les artistes recyclent ce qu’ils trouvent et inventent de nouveaux outils. Ils n’hésitent pas à utiliser des matériaux pauvres et à laisser une place importante au hasard, comme le montre la première sculpture de Jacques Villeglé faite de fils d’acier trouvés dans les ruines de Saint-Malo en 1945.
Ils cherchent aussi à dépasser le cadre du tableau avec des œuvres tridimensionnelles, mobiles et mécaniques comme celles de Jean Tinguely.
Ce n’est pas tant la question de l’opposition entre abstraction et figuration qui est à l’œuvre, mais la remise en question des fondements mêmes du tableau. La peinture n’a plus à se confronter au monde réel car ce dernier fait intrinsèquement partie de l’œuvre au travers des matériaux utilisés, comme les affiches arrachées des murs par Raymond Hains ou Jacques Villeglé qui rappelle la réalité de la guerre d’Algérie et l’affrontement de deux camps irréconciliables.
Œuvres à la loupe
juillet 2020 Beaux-arts
Rue au Maire de Jacques Villeglé
Au moment où s’ouvre au Mémorial de Caen l’exposition intitulée La Libération de la peinture, 1945-1962 dont le commissariat est assuré par les conservateurs de la Fondation, il est intéressant de s’arrêter sur les œuvres de Jacques Villeglé et plus particulièrement sur ses affiches lacérées. L’une d’entre elles, acquise récemment, occupe en effet la dernière section de l’exposition qui s’attache à montrer comment la Seconde Guerre mondiale a profondément modifié le cours de l’art. En remettant en question les fondements de la peinture traditionnelle, les artistes de l’époque ont cherché à faire table rase du passé et à utiliser de nouveaux moyens pour s’exprimer.
février 2020 Beaux-arts
T 1946–9 de Hans Hartung
Alors que la grande rétrospective du Musée d’Art moderne de la ville de Paris se termine, une autre exposition mettant à l’honneur l’œuvre de Hans Hartung se prépare. Celle-ci se tiendra au Mémorial de Caen à partir du 14 juillet 2020. L’exposition La Libération de la peinture, 1945-1962, souhaite restituer le formidable élan qui anima l’avant-garde abstraite européenne fermement résolue, dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à changer pour de bon le cours de l’art. T-1946-9 est l’une des œuvres manifestes de cette euphorie créatrice et contagieuse qui emporta tout sur son passage.
octobre 2019 Beaux-arts
Évanescence de Georges Mathieu
Le hasard peut-il générer une œuvre d’art ? À cette question, l’ambitieuse exposition Par hasard, qui ouvrira le 17 octobre au Centre de la Vieille Charité à Marseille fourmille d’exemples aussi surprenants qu’édifiants. Des taches d’encre de Victor Hugo aux toiles brûlées de Christian Jaccard, en passant par les frottages de Max Ernst et les texturologies de Jean Dubuffet, tout un répertoire de formes libres serait né de l’incertitude du geste créateur. Ce dernier est plus ou moins tributaire du hasard selon l’expérience, consciente ou inconsciente, qu’en feront les artistes désireux de tester ses infinies possibilités. Parmi elles, le dripping dont le procédé a été popularisé par le peintre américain Jackson Pollock dans les années 1950. Pour comprendre pourquoi et comment cette technique nouvelle changea le cours de la peinture occidentale, il faut remonter à son inventeur, Georges Mathieu, et surtout à Évanescence, l’un de ses tableaux précurseurs peint en 1945.
mai 2018 Beaux-arts
Sarah de Jean Fautrier
(première publication en 2018 - Cette oeuvre a fait l’objet d’une nouvelle notice entièrement réécrite en novembre 2020)
Un corps torturé et déchiqueté par la mitraille, telle est l’image insoutenable fixée à la postérité par Jean Fautrier. La victime est anonyme mais, en la prénommant Sarah, le peintre dénonce le sort terrible des Juifs de France sous l’Occupation. Inquiété par la Gestapo, l’artiste peint en secret la série des Otages qui ne sera dévoilée qu’après la Libération.