
École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) (CH) 5 novembre 2016 - 23 avril 2017
Noir, c'est noir ? Les Outrenoirs de Pierre Soulages
Organisée conjointement par la Fondation Gandur pour l'Art et l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), l’exposition Noir, c'est noir ? Les Outrenoirs de Pierre Soulages suggère de nouvelles pistes quant à la compréhension, la présentation et la conservation d’œuvres d’art
Commissariat artistique : Eveline Notter
Co-commissariat scientifique : Joël Chevrier, Nicolas Henchoz, Mark Pauly et Pierre Vandergheynst
Le projet de commissariat ne relève pas ici d'une exposition classique, mais intègre le nouveau bâtiment d'un campus universitaire qui crée les conditions d'une convergence innovante entre art et science. Cinq laboratoires de l’EPFL et des start-up qui en sont issues ont mis leurs recherches et leurs technologies au service d’une approche inédite de la démarche de Pierre Soulages, figure majeure de l’art abstrait.
Si le peintre français s’est aventuré en Outrenoir, c’est-à-dire au-delà du noir, il recherche avant tout la lumière qui s’y révèle, considérant celle-ci comme une matière.
Grâce à cette confrontation inédite, l’exposition offre une expérience perceptive innovante, à la lisière de l’art et de la science.
Présentation
Les Outrenoirs de Pierre Soulages à la lumière de la science
Il y a dans l’expérience picturale de Pierre Soulages une cohérence remarquable qui tient à une fascination précoce pour la couleur noire – son interaction complexe avec la lumière, ses nuances et ses contrastes. Bien que réalisés à partir d’un seul pigment noir, le noir d’ivoire1, les Outrenoirs créés par le peintre depuis 1979 se distinguent radicalement du monochrome. Ces « toiles monopigmentaires à polyvalence chromatique 2 » couvrent, selon les infinies variations de la lumière ambiante, une palette allant du noir profond au gris, voire au blanc, se colorant même de bleu à proximité de la mer.
L’artiste a précisément forgé le terme d’Outrenoir pour désigner ce « noir lumière », objet d’une quête inlassable depuis près de quarante ans. Tel est donc le paradoxe du noir chez Soulages : si depuis la théorie des couleurs d’Isaac Newton le noir a été considéré comme une non-couleur, absorbant toute lumière, il est au contraire appréhendé par le peintre comme le moyen même de révéler et de conduire cette dernière.
Les œuvres de l’artiste présentent des états de surface changeants selon la technique utilisée – l’huile mélangée à une résine acrylique, ou exclusivement l’acrylique depuis 2004 –, l’épaisseur et, surtout, le traitement de la couche picturale. Celui-ci joue en effet sur la juxtaposition du mat et du brillant, ou sur des aplats et des stries produits grâce à des outils spécialement conçus à cet effet. De fait, la puissante structuration de la couche picturale contribue de manière déterminante à la captation de la lumière, dont l’intensité s’apaise ou vibre tour à tour. L’interaction entre un Outrenoir et la lumière incidente ambiante, aux variations infinies – éclairage naturel ou artificiel, reflets alentour – modèle l’espace qui s’étend du tableau au spectateur. L’expérience de la toile se joue en effet dans une relation triangulaire, sans cesse réactualisée au gré des déplacements du regardeur, entre tableau, éclairage et point de vue. L’appréhension spécifique de l’Outrenoir, liée à la diffusion d’un champ lumineux réfléchi par la toile en fonction de l’angle sous lequel elle est perçue, donne au public le rôle d’acteur de l’œuvre. Dans cette démarche de transformation de la lumière dans l’espace, tout concourt en définitive à faire de la lumière une matière.