août 2019 Archéologie
Relief avec les épithètes et les noms d'Alexandre le Grand
Alexandre le Grand a pris les rênes du pouvoir immédiatement après l’assassinat de son père, Philippe II, roi de Macédoine. C’est peu après, à en croire l’historien d’époque romaine Arrien, qu’Alexandre déclara la guerre à la Perse achéménide, déclarant souhaiter venger les Grecs des ravages causés par les Perses lors de la Guerre du Péloponnèse.
Voir l'œuvre dans la collectionRelief avec les épithètes et les noms d'Alexandre le Grand
Égypte, Hermopolis Magna, Temple de Thot
Période Macédonienne, règne d'Alexandre le Grand
Pierre calcaire, peinte
41,5 x 70,4 x 5,5 cm
FGA-ARCH-EG-0162
Provenance
Galerie François Antonovich, Paris, 1999
Alexandre débuta sa campagne par la traversée de la mer Égée avant de mener ses troupes à travers la Turquie en direction de l’est, battant facilement l’armée perse alors qu’il poursuit sa route vers le sud, longeant la côte du Levant jusqu’à la ville de Tyr qu’il assiège. Une fois la ville capturée, Alexandre décide de s’emparer de l’Égypte afin de priver les Perses de leurs réserves de grain et de ses richesses. Ce fut chose faite à l’automne 332 av. J.-C., sans engager le combat, grâce à d’habiles négociations diplomatiques avec Mazakès, le satrape (gouverneur perse) en charge de l’Égypte. Une fois dans le pays, Alexandre ne reprit pas tout de suite sa campagne contre Darius III, mais resta quelque temps en Égypte pour réaliser plusieurs objectifs, notamment se rendre aux limites du désert occidental, non loin de l’actuelle frontière libyenne, pour y consulter le célèbre oracle du dieu Zeus Ammon.
Pour les anciens Grecs, l’oracle d’Ammon de l’oasis de Siwa rivalisait avec celui d’Apollon à Delphes. Son accès difficile ajoutait du poids aux prédictions délivrées à ceux qui allaient le consulter. Alexandre savait qu’avant lui le roi de Perse Cambyse avait tenté d’atteindre avec son armée l’oracle d’Ammon en 525 av. J.-C., mais qu’il avait abandonné à la suite d’une tempête de sable qui avait surpris et détruit la majeure partie de ses troupes. Le désir d’Alexandre d’atteindre Siwa pourrait bien avoir été une marque d’audace vouée à démontrer qu’il avait réussi là où les Perses avaient échoué. La route, jamais clairement indiquée, était périlleuse. La tradition veut qu’Alexandre aurait pu ne jamais atteindre Siwa sans l’aide d’une paire de corbeaux qui lui montrèrent le bon chemin, ou celle de deux serpents qui lui servirent de guides.
Le déroulé des événements entourant l’énonciation de l’oracle sont enrobés de mystère. Un récit prétend qu’Alexandre aurait souhaité partager son expérience avec ses compagnons, mais seulement après en avoir informé Olympias, sa mère. Cela n’arriva jamais, car à l’issue de ses campagnes contre les Perses, il mourut à Babylone avant de pouvoir rentrer chez lui pour voir sa mère. Une tradition parallèle suggère que le grand prêtre d’Ammon, dont la langue maternelle n’était pas le grec, tenta d’accueillir Alexandre d’un mot de bienvenue comme « Salut à toi, mon fils », qui, mal prononcé, fut interprété comme « Salut à toi, fils du dieu de l’oasis. »
Cette tradition parallèle gagna du terrain, de sorte que peu après, la rumeur se répandit selon laquelle Ammon lui-même avait reconnu Alexandre comme son fils. Par conséquent, on a longtemps cru que la prédication de Siwa était destinée à l’entourage d’Alexandre, qui parlait grec, car aucune source égyptienne ne confirmait que l’oracle du dieu de Siwa avait reconnu Alexandre comme son fils.
Ce point de vue longtemps en vigueur est à présent partiellement remis en question, notamment grâce aux inscriptions de ce remarquable relief de la Fondation Gandur pour l’Art.
Si on l’examine attentivement, on observe une ombre assez marquée du côté gauche, juste avant les deux colonnes d’inscriptions. Cette ombre indique un changement de niveau, les deux inscriptions du côté gauche étant plus hautes que celles du côté droit. Ce subtil changement de plan suggère que le relief faisait partie d’une porte à l’intérieur du temple d’où il provient.1
Mais ce n’est pas le seul détail intéressant de ce relief. Les quatre colonnes de hiéroglyphes comportent deux paires de cartouches, sorte d’anneau protecteur royal, qui entourent le nom de couronnement (colonnes de gauche) et le nom de naissance (colonnes de droite) d’Alexandre le Grand. Une fois encore, si l’on observe d’encore plus près les deux cartouches de droite, dans l’angle supérieur droit, on y verra les traces endommagées du hiéroglyphe représentant une divinité accroupie2 .
On ne connaît à ce jour que six reliefs portant le cartouche d’Alexandre où son nom est précédé de l’épithète fils d’Amon. C’est donc un privilège pour les collections de la Fondation Gandur pour l’Art que de conserver l’un d’entre eux.
La zone endommagée au sommet et à gauche de ce hiéroglyphe peut être rétablie grâce à plusieurs parallèles. Les deux cartouches de la partie droite du relief, qui comportent le nom de naissance « Alexandre », se traduit donc ainsi, en commençant par la colonne de gauche : « … le fils d’Amon, Alexandre, [aimé de] Thot seigneur d’[Hermopolis magna]… », puis la colonne de droite : « … le fils d’Amon, Alexandre, [aimé de] Shepsi qui se trouve à Hermopolis Magna… ». Les deux colonnes de la partie gauche présentent deux fois la même inscription, qui indique les titres et le nom de couronnement d’Alexandre : « … roi de Haute et Basse Égypte, maître des Deux Terres, l’élu de Rê et aimé d’Amon… ». L’inscription permet d’identifier le temple d’où provient ce montant de porte comme étant celui d’Hermopolis Magna, consacré à la principale divinité de la ville : Toth, dieu de la sagesse et patron des scribes, auquel était parfois associé Shepsi3 , un ancien dieu solaire.
On ne peut donc plus affirmer que l’oracle délivré à Alexandre le Grand à Siwa était seulement destiné à son entourage parlant le grec. Ce relief démontre qu’il était aussi accepté par les prêtres égyptiens, qui ont tout de suite intégré cette épithète dans le nom de couronnement d’Alexandre au sein d’un grand temple de Moyenne-Égypte4 . Mais cette intégration comporte un autre aspect : les pharaons qui avaient précédé Alexandre s’appelaient volontiers « fils de Rê », le dieu du soleil. Alexandre a ajusté cette tradition en s’alignant sur Amon, principale divinité du panthéon égyptien. Cet alignement répond aussi à la volonté d’Alexandre de se faire considérer comme souverain légitime de l’Égypte, et véritable successeur des pharaons. Cette posture et cette autopromotion n’est peut-être nulle part ailleurs illustrée aussi bien que dans son appropriation de l’une des chapelles de l’Akh-ménou, ou grande salle des fêtes, du sanctuaire de Karnak, où il s’associe volontairement à Thoutmosis III, grand pharaon guerrier de la XVIIIe dynastie.
Début à 0:50 et fin à 1:15 dans la vidéo suivante :
On ne connaît à ce jour que six reliefs portant le cartouche d’Alexandre où son nom est précédé de l’épithète « fils d’Amon ». C’est donc un privilège pour les collections de la Fondation Gandur pour l’Art que de conserver l’un d’entre eux, le seul qui se trouve hors d’Égypte, en raison de son importance pour une meilleure compréhension du parcours d’Alexandre le Grand.
Dr Robert Steven Bianchi
Conservateur en chef
Conservateur collection archéologie
Notes et références
- CHAPPAZ 2001, p. 52.
- BOSCH 2013, p. 131-154; et idem 2014, p. 89-109.
- HOVESTREYDT 2017, p. 41.
- BIANCHI 2018, p. 86-97.
Bibliographie
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BIANCHI, R.S., "Alexander, fils d'Amon : Interaction Between the Egyptian Priesthood and Alexander's Policy Makers, " Chronique D'Égypte XCIII, fasc. 185, 2018, p. 86-97.
BOSCH-PUCHE, F., " The Egyptian royal titulary of Alexander the Great, II : Personal name, empty cartouches, final remarks, and appendix ", Journal of Egyptian Archaeology, n° 100, 2014, p. 89-109.
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