juin 2019 Beaux-arts
Le Voyou de Gérard Fromanger
Le 19 juin 2019 s’ouvre au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux une exposition intitulée Histoire de l’art cherche personnages… organisée conjointement par l’institution bordelaise, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême et la Fondation Gandur pour l’Art. Elle donne prétexte à s’arrêter sur le travail de Gérard Fromanger qui y est présenté, et notamment sur son œuvre intitulée Le Voyou alors qu’un autre tableau de la même série, Paramount cinéma, illustre l’affiche de l’exposition.
Voir l'œuvre dans la collectionGérard Fromanger (Pontchartrain, France, 1939)
Le Voyou (série Boulevard des Italiens)
1971
Huile sur toile
Signé, annoté, titré, dimensionné et daté « GÉRARD FROMANGER / Série : "Boulevard des Italiens" / titre : " LE VOYOU "_ / huile sur toile , 100 x 100 / PARIS, 1971. » au dos de la toile
100 x 100 cm
FGA-BA-FROMA-0005
Provenance
Galerie Nathalie Seroussi, Paris
Collection particulière
Pierre Bergé, Paris, 21 juin 2017, lot n° 57
Exposition
Fromanger, Boulevard des Italiens, Paris, ARC, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 23.11.1971 – 10.01.1972
Réalisé en 1971, Le Voyou (fig. 1) fait partie de la série Boulevard des Italiens, sans doute l’une des plus emblématiques de l’œuvre de Gérard Fromanger. La série est d’ailleurs exposée la même année au Musée d’art moderne de la Ville de Paris par Pierre Gaudibert. Les cimaises ne pouvant en accueillir davantage, seules vingt-cinq des vingt-huit premières œuvres de la série figurent dans l’exposition, comme le rappelle Michel Gauthier1 . Pendant celle-ci, Fromanger en produit quelques autres comme Paramount cinéma (fig. 2) ou Le Cercle rouge qui diffère par son format (130 x 97 cm, Musée des beaux-arts de Dole)2 . Travaillant principalement par séries, l’artiste rappelle qu’il a toujours éprouvé la nécessité de décliner son idée en plusieurs tableaux3 .
« Je voulais peindre la rue, être à la hauteur du réel qui nous encercle, le saisir comme une image photographique implacable »
La série est basée sur les clichés du photographe de presse Élie Kagan – qui s’était notamment illustré avec les images de la répression policière de la manifestation des indépendantistes algériens le 17 octobre 1961 – pris le 5 février 1971, entre 12h30 et 13h sur le Boulevard des Italiens et le Boulevard des Capucines, entre l’Opéra et la station de métro Richelieu-Drouot4 . Tout comme de nombreux autres artistes de son époque, Fromanger s’intéresse à la photographie et l’utilise abondamment, « par fascination […], par commodité, voire par paresse »5 .
Avant qu’il ne travaille avec un épiscope, les clichés, transférés sur diapositives puis projetés et agrandis, serviront de matrice au travail de Fromanger qui cherche à « peindre un lieu très parisien, à la fois populaire et petit-bourgeois, neutre – ni riche, ni pauvre, ni mode »6 . Le travail de peinture basé sur des photographies a comme but d’essayer de limiter au maximum l’interprétation et de donner à voir de manière presque objective7 , la rue, les passants, les voitures, les vitrines comme « témoignages de la vie quotidienne sur ce boulevard » en s’attachant à « la quotidienneté la plus banale, en apparence la plus lisse, la moins événementielle, la moins esthétique, la moins mise en scène »8 .
Il ne s’agit toutefois pas d’un éloge du quotidien comme le rappelle à juste titre Marianne Mathieu9 mais d’une réflexion sur le monde qui l’entoure. « Je voulais peindre la rue, dira Gérard Fromanger en 2018, être à la hauteur du réel qui nous encercle, le saisir comme une image photographique implacable […] »10 . Chacun des tableaux de la série présente une vue de son parcours avec Élie Kagan : vitrines de magasin et de restaurant, kiosques à journaux, façades d’immeubles, bouches de métro, affiches publicitaires ou entrées de salles de cinéma. Fromanger fait ainsi « de la vie dans la ville l’un des thèmes centraux de son travail »11 et dresse par là une chronique du monde, en traitant de la société de consommation et du divertissement. Artiste engagé et acteur de mai 68, le « rouge Fromanger », comme l’a décrit Jacques Prévert, voit dans le décor urbain une possibilité de repenser le monde, la rue étant dans son imaginaire « le lieu par excellence de la révolution »12 .
1971" >
Repensée par Fromanger dans Boulevard des Italiens, la rue prend des tonalités qui changent en reprenant le spectre solaire : rouge, orange, jaune, vert (comme pour L’Autre, fig. 3), bleu, violet, gris (comme pour Paramount cinéma), noir et blanc. « Le projet de 1971 vise à peindre la rue en opposant la masse des passants rouges aux couleurs en demi-teinte du spectacle urbain »13 . Même si le rouge – un rouge cadmium en l’occurrence – est la couleur de la révolution, de l’ouvrier ou du peuple en mouvement, elle est utilisée en aplats et permet de « représenter la foule à travers son dénominateur commun, l’anonymat » tout en peignant « le formidable élan collectif qu’ils [les passants] portent tous potentiellement en eux »14 .
Présentées côte à côte dans l’exposition Histoire de l’art cherche personnages…, les trois œuvres de Gérard Fromanger font référence au cinéma – les films de Robert Enrico Un peu, beaucoup, passionnément (1971), Catch-22 de Mike Nichols (1970) et Le Voyou de Claude Lelouch (1970) sont à l’affiche à l’époque – et lui permettent de penser le monde et la société, le monde des images et la société du divertissement notamment.
Yan Schubert
Conservateur collection beaux-arts
Notes et références
- Michel Gauthier, « Paramount cinéma », in Jean-Paul Ameline, Yan Schubert (sous la direction), La Figuration narrative, Genève, Fondation Gandur pour l’Art ; Milan, 5 Continents Editions, 2017, p. 140.
- Michel Gauthier (sous la direction), Gérard Fromanger, catalogue d’exposition [Paris, Centre Pompidou, 17.02 – 16.05.2016], Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2016, p. 44, note 18. Serge July, Fromanger, Paris, Cercle d’art, 2002, repr. coul. p. [60-61] présente 28 œuvres alors que la photographie documentaire reproduite dans le catalogue d’exposition Fromanger, Annoncez la couleur !, Hommage à Louis Ducos du Haron, [Agen, Musée des beaux-arts d’Agen, 02.07 – 25.09.2016], Canens, Éditions In extenso, 2016, repr. coul. p. 36 montre 27 œuvres, la légende de la photographie indiquant toutefois une série de 25 œuvres.
- Comme il l’indique lors d’un échange, ses « séries comptent en moyenne une trentaine de tableaux ». Voir Laurent Greilsamer, Fromanger, De toutes les couleurs, Paris, Gallimard, 2018, p. 98.
- Voir la maquette de la série reproduite dans Serge July, op. cit., repr. coul. p. [58-59].
- Hans Ulrich Obrist et Gérard Fromanger, « Conversation à l’infini », in Gérard Fromanger, Périodisation 1962-2012, catalogue d’exposition [Landerneau, Fonds Hélène & Édouard pour la culture, 24.06 – 28.10.2012], Paris, Éditions Textuel, 2012, p. 25.
- Laurent Greilsamer, op. cit., p. 94.
- Même si l’on sait que cela est illusoire, le cadrage d’une photographie supposant une certaine subjectivité
- Serge July, op. cit., p. 54.
- Marianne Mathieu, Gérard Fromanger, Neuchâtel, Ides et Calendes, 2004, p. 28.
- Laurent Greilsamer, op. cit., p. 93.
- Anne Dary, « Périodisation. Introduction », in Gérard Fromanger, Périodisation 1962-2012, op. cit., p. 11.
- Marianne Mathieu, op. cit., p. 28.
- Serge July, op. cit., p. 55.
- Marianne Mathieu, op. cit., p. 25 et 28.
Bibliographie
Fromanger, Annoncez la couleur !, Hommage à Louis Ducos du Haron, catalogue d’exposition [Agen, Musée des beaux-arts d’Agen, 02.07 – 25.09.2016], Canens, Éditions In extenso, 2016, repr. coul. p. 36 (photo documentaire)
Fromanger, Boulevard des Italiens, catalogue d’exposition [Paris, ARC, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 23.11.1971 – 10.01.1972], Paris, Georges Fall, 1971, repr. coul. n. p.
JULY Serge, Fromanger, Paris, Cercle d’art, 2002, repr. coul. p. [61], n° 66